Dans un bref entretien au J.D.O, l’historien Fouad Soufi considère que «la restitution des cranes des résistants démontre la sauvagerie de la conquête coloniale et la mentalité des hommes de guerre et de certains hommes de science». Et ne cache pas son scepticisme : «Je doute fort que cette affaire soit une sorte de premier pas pour l’ouverture d’autres dossiers et surtout pas celui des archives, lequel englobe celui des essais nucléaires et des disparus. Il ne faut pas oublier celui des biens culturels et archéologiques».
Entretien réalisé par Djef Bens.
J.D.O : Quelle symbolique représente pour vous cette restitution des cranes de résistants algériens, pour la France et l’Algérie ?
Fouad Soufi: Il est bien évident que l’on peut voir dans ce geste tout à la fois, une forte charge symbolique et un geste d’apaisement. La restitution des crânes de 31 héros de la résistance à la conquête coloniale ne doit pas nous faire oublier les conditions même du fait qu’ils se trouvent en France dans les réserves d’un musée. C’est toute la sauvagerie de la conquête dans ces différents épisodes et la mentalité des hommes de guerre et de certains hommes de sciences qui y est inscrite. Cela nous rappelle – pour ceux, ici et là-bas, qui veulent bien oublier- ce que fut le 19ème siècle et les du peuple algérien. Récupérer un crâne devient effectivement un geste symbolique fort.
Toutefois la question est peut-être de ce que l’on va en faire ? La pratique religieuse et la tradition exigent simplement qu’ils soient enterrés. On aurait pu croire qu’ils soient remis à la police scientifique ou à une université (Biskra par exemple) que l’on doterait de moyens technologiques adéquats pour les analyser. Mais c’est une autre histoire. Les relations entre l’Algérie et la France sont une suite de haut et de bas. Les Français anti-algériens ne changeront pas d’avis pas plus que les Algériens anti-français. Au niveau des instances supérieures des Etats, chacun sait où se trouvent les intérêts de leur Etat. Le reste risque de n’être que spéculation.
J.D.O : A quoi est due l’occultation officielle du rôle joué par l’anthropologue Farid Ali Belkadi dans la découverte des ossements au musée de l’homme et celui de Brahim Senouci auteur d’une pétition pour la restitution des cranes ?
F. S : Faute d’informations, il est difficile d’apprécier ce silence sur le travail qu’a fait Monsieur Belkadi. Son livre avait été publié et des journaux lui ont consacré des articles. Il me semble (et je me trompe peut-être ?) que les photos des crânes qu’on nous montre sont celles que M. Belkadi a prises.
Aussi nul ne peut contester qu’il a été le premier à rendre publique cette affaire. Ceci dit, il me semble assister à une écriture d’une histoire de cette restitution qui ne me parait pas être l’expression de la réalité et qui explique quelque part ce que vous appelez «omission de M. Belkadi». Son travail parle pour lui et pour l’histoire de cette récupération. Il ne faut pas oublier ce qu’avait fait M. Brahim Senouci qui, par la pétition qu’il avait initiée, a participé grandement à la prise de conscience par le public de cette histoire.
J.D.O : Cette restitution des restes augure-t-elle une nouvelle page entre les deux pays et la mise sur la table des autres dossiers en suspens comme les archives et les essais nucléaires ?
F. S :Je doute fort que cette affaire soit une sorte de premier pas pour l’ouverture d’autres dossiers et surtout pas celui des archives, lequel englobe celui des essais nucléaires et des disparus. Il ne faut pas oublier celui des biens culturels et archéologiques. Comme ils ont été introduits dans le patrimoine français et de ce fait par un droit unilatéral, ils sont devenus et considérés comme inaliénables, imprescriptibles et insaisissables. Donc il est impossible de les céder à un Etat étranger, fut-il l’Etat algérien.
Il faut aussi savoir que notre loi sur les archives nationales de 1988 et toutes les lois sur les archives et sur le patrimoine dans le monde insistent sur ce point. Il est bien évident que cela ne doit pas empêcher les négociations et notamment sur les prises de guerre.
La restitution par les Etats-Unis des archives allemandes prises en 1945 puis des archives irakiennes, la restitution par la Fédération de Russie d’archives françaises et d’archives des pays de l’Est sont autant d’exemples de négociations qui aboutissent.
J’en profite pour signaler que le Danemark a remis les archives relatives à l’Islande après l’accès de ce pays à l’Indépendance, puis au Groenland et se prépare à remettre aux Iles Féroé des archives en attendant le changement de statut de ce futur Etat.